15 jours de la vie d’un soldat au front

 

Extraits du journal de Maurice Billoré

 

Lundi 14 septembre 1914

 

Nous passons toute la journée sans bouger dans une propriété boisée à Mercin.

Journée de mitraille du matin au soir, à entendre siffler les obus. Ce soir notre bataillon prend les avant-postes.

Encore une nuit sans sommeil.

On vivote de peu de chose.

Depuis le mercredi 9 septembre que l’on a quitté Guingamp, on n’a guère de repos.

 

Mardi 15 septembre

 

Nous quittons notre emplacement du 14 pour nous porter en avant de l’artillerie ; nous sommes entre notre artillerie et l’ennemi.

La mitraille nous passe au-dessus sans arrêt depuis la pointe du jour (il est à peu près huit heures du matin), on vit comme des animaux.

On mange quand on a faim, on dort quand on peut, par la fatigue.

Les allemands se retirent, d’après la canonnade, du côté de Vic-sur-Aisne, Attichy.

Vers le soir, 5 heures environ, nous sommes canardés ; les obus éclatent près de nous ; c’est effrayant.

Le soir nous rentrons à Mercin Pommiers et à la nuit notre compagnie prend les avant-postes.

Nous occupons les tranchées, à environ 4 ou 5 cents mètres de l’ennemi.

Toute la nuit nous avons reçu de l’eau, et sans abris (nuit du 15 au 16 septembre.

 

Mercredi 16 septembre

 

Trempés comme des soupes nous attendons le soleil pour nous réchauffer. Et impossible de bouger car nous sommes sous le feu de l’ennemi.

C’est à ne pas y croire.

Depuis 3 heures du matin le canon n’arrête pas d’un côté et l’autre.

Les allemands ont passé la rivière et occupent les crêtes de l’autre côté.

Depuis 3 jours, impossible de les déloger de cet endroit.

Plus sur l’aile gauche, du côté d’Attichy, les nôtres doivent avoir passé la rivière.

Quel carnage, c’est honteux.

J’ai hâte d’être au soir car nous sommes dans ces tranchées jusqu’à la nuit.

Passer une journée sans bouger sous les obus qui sifflent, ce n’est gère amusant.

Il est environ 6 heures du matin et je crois que pour nous sécher de la nuit, nous allons encore avoir de l’eau.

Le soleil est brûlant  et le temps couvert de gros nuages d’eau et de fumée.

De St Jean, on doit facilement entendre la canonnade.

L’après-midi, beau soleil.

C’est ce qu’il fallait pour nous réchauffer un peu.

Vers le soir, la mitraille est de plus en plus vive.

Un château et 2 fermes sont incendiées par les obus allemands. C’est horrible à voir.

Après ces 24 heures que nous avons passées aux tranchées, nous rentrons au cantonnement, entassés dans des maisons et greniers, sans toitures et à moitié écroulées par la mitraille.

Le soir, en rentrant vers les huit heures, nous sommes désignés à 10 hommes pour une bien triste mission : faire des trous pour enterrer de pauvres malheureux fauchés par les obus. Un lieutenant de génie et 2 hommes du 161ème. C’était bien pénible à voir. Richard était avec moi. Nous sommes rentrés à 11 h ½ du soir et à 3 h ½ nous repartons.

Toujours sur le qui-vive.

Toujours dehors.

Voilà 8 jours que l’on ne se repose guère.

 

Jeudi 17 septembre

 

Nous sommes toujours d’avant-poste.

Toujours la pluie.

Rentrés au cantonnement.

On se repose, tranquille à l’abri des projectiles.

On se couche à minuit pour se lever à 3 h ½.

 

Vendredi 18 septembre

 

Quitté à 4 h matin Vaux. Passé à Saconin, Missy, Dommiers, St Pierre-Aigle, Cœuvres, Hautefontaine, Montigny-Lengrain.

Cantonnement. Bien logés.

Pris la faction sous la pluie.

Vu Hector en passant à Dommiers.

 

Samedi 19 septembre

 

Nous sommes tout près de Vic-sur-Aisne.

La canonnade s’est fait entendre toute une partie de la nuit du 18 au 19.

On entend le canon sur Vic-sur-Aisne.

A 10 heures du matin nous partons de Montigny sur Vic-sur-Aisne.

Nous sommes salués à l’arrivée par des obus qui éclatent près de nous. Nous faisons des tranchées comme abris et repartons coucher à Montigny.

Mal aux pieds et fatigué. J’ai des coliques depuis 2 jours.

Rentrés au cantonnement vers 6 h.

Passé une assez bonne nuit.

 

Dimanche 20 septembre

 

Toujours la pluie.

Nous faisons des tranchées à l’écluse de Vic-sur-Aisne depuis 2 jours.

On commence à se faire vieux.

Nous rentrons le soir à Jaulzy vers minuit.

Réveil à 4 h ½.

 

Lundi 21 septembre

 

Nous partons sur Attichy. On entend le canon sur la montagne. On fait la pause à l’hospice d’Attichy.

Arrivés en haut, nous sommes comme d’habitude, accueillis à coup de canon.

Nous faisons des tranchées pour nous abriter et le soir nous marchons en avant.

Vers 7 heures du soir la mitraille nous arrête tellement ça pleuvait, et vu notre position les balles sifflaient aux oreilles.

Nous nous replions et rentrons vers minuit cantonner à Bitry-Saint-Pierre.

Lucien Tourneur, égaré de sa Cie, couche avec nous.

 

Mardi 22 septembre

 

Nous partons vers 5 heures pour les mêmes emplacements que la veille, sur la plaine au-dessus de la sucrerie. Restons là toute la journée, à distance des projectiles, et le soir prenons les avant-postes. Vent très froid.

 

Mercredi 23 septembre (Journée inoubliable)

 

Mauvaise journée. Nous avançons dans le brouillard près des tranchées allemandes.

Aussitôt le brouillard dissipé nous sommes accueilli, comme à l’habitude, par une nuée de projectiles.

Resté toute la journée, presque 4 h ½ sous cette pluie, et finalement nous sommes obligés de nous replier, mais avec de grosses pertes.

Moi, j’ai un doigt percé et reçu un éclat d’obus sur la tête qui m’abasourdît.

Je croyais rester sur le terrain.

Passé la nuit à l’école des filles.

 

Maurice Billoré est évacué et le samedi 26 septembre arrive à l’hôpital militaire de Brest.

 

Il raconte :

 

Lundi 28 septembre

 

Affaibli à un point que je ne peux me tenir sur les jambes.

J’ai les reins broyés et toujours un peu de fièvre.

Après-midi, terribles souffrances.

Le chirurgien m’a nettoyé ma blessure à la tête qui, depuis mercredi 23, n’avait pas été nettoyée.

J’avais les cheveux collés de sang caillé.

J’ai enduré quelque chose.

Avec un rasoir il m’a rasé le caillou, après nettoiement de la plaie.

J’avais hâte qu’il finisse.

Nous sommes assez bien nourris, bien soignés, couchage lit de caserne.

Nous sommes 16 dans une chambre. Alors, quand le major vient faire les pansements, ce n’est pas gai ; on n’entend que gémissements.

Je souffre toujours de la tête.

Impossible de dormir.

 

Mardi 29 septembre

 

Toujours très souffrant de la tête.

Je commence à reprendre un peu d’appétit.

On est bien soigné, même gâté.

Des personnes charitables passent dans les chambres, nous donnent des galettes, du chocolat, du raisin, des cigarettes.

 

Par la suite plusieurs lettres écrites à son frère, relatent les différents séjours qu’il fera à l’hôpital, à l’infirmerie et au dépôt.

Il retournera sur le front à partir du 25 mars 1915, mais sa santé restera constamment perturbée par la suite.

 

Deux lettres écrites à son frère.

Rupât en Woofers le 11 juillet 1915

         Mon cher Lazare

         Après 25 jours de tranchées nous voilà à Rupât en repos bien gagnés et quelques uns manquent depuis ces 25 jours. Mes escouades de 16 il en reste 7. Juges. Je suis en bonne santé et j’espère pour toi qu’il en est de même. Bonjour à tes frères et à tous. Je voudrais bien que les bruits, quoique fondés, soient faux mais c’est de source presque certaine car ceux-ci sont de la classe 11 et 12. Gaëtan a été coupé en deux par un 210 et il est enterré soit à Monial ou dans le boyau me disent-ils. Enfin sur le lieu où il repose ils ne peuvent préciser mais le regrette car ça leur a fait peine qu’il disparaisse. Ainsi s’étaient de bons types.

         Je te sers la main.

                                                                                        Maurice

Écrit en haut à droite en travers : Surtout ne dis pas que tu sais cela par moi.

15 jours de la vie d’un soldat au front

 

Non datée

 

         Mon Vieux Lazare

         Tu sais j’apprends avec regret par le sergent et 2 caporaux survivants de la section où était Victor et dont très peu en sont revenus qu’il a été tué à l’attaque de nuit du 6 avril, déchiqueté par un obus de 210 étant avec un copain dans un boyau qui était tout près du 132e aux Éparges, c’est-à-dire presque à Craonne. Ce combat dura depuis le soir jusqu’au lendemain à midi et pas un du 106 fut fait prisonnier, ceux qui ne pouvait se débiner étaient zigouillés dans les boyaux. Alors profitant de l’obscurité, ils recouvrirent les tués de terre n’ayant pas le temps de les identifier, sur le recrutement il est considéré comme disparu mais le caporal Cottin me certifie où il a été tué mais n’ayant pas été enterré par lui et vu la débâcle personne ne révéla où il avait été tué et tous ceux de son escouade furent considérés disparus car en ces moments, dit-il, l’on voit et c’était tout l’on ne pense guère dans un pareil carnage à dire un tel est tué.

         C’est bien regrettable pour lui et ses parents. Le sergent Lanoux 4e section du 2e 69 qui a toujours eu Gaëtan et Victor me dit que depuis que Gaëtan était tué, Victor en avait gros chagrin et voulait le venger. Chaque fois il demandait à aller en patrouille et y a été 15 fois. Il n’était plus prudent, avait la haine de ces boches et fatalement dit-il cela lui aurait arrivé.

         Ces renseignements sont par son sergent et caporal.

 

Écrit dans un cartouche en haut de page : N’en dit rien à St Jean car c’est assez malheureux

 

Pour ceux qui ont suivit la série « Ceux de 14 », tirée du livre du Maurice Genevoix, vous retrouvé ici cité le 106e, avec ce carnage des Éparges.

 

Le 17 février 1915, la 24e brigade d’infanterie (106e et 132e RI) est chargée de reprendre la crête des Éparges. Du 17 février au 9 avril 1915 de violents combats se succèdent jusqu’à la prise définitive de la majeure partie de la crête par les troupes françaises.

 

A quel prix !

 

C’est de Victor Langelez dont parle Maurice Billoré.

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